Boissons gazeuses : comment combattre les stratégies de marketing des fabricants
Dans un nouveau livre intitulé Soda Politics – Taking on Big Soda (and Winning), Marion Nestle décortique les stratégies de marketing de l’industrie des boissons gazeuses et propose des pistes d’action pour les contrer.
                 
Professeure au Département de nutrition et de santé publique de l’Université de New York, Marion Nestle a déjà écrit de nombreux livres qui dénoncent l’influence néfaste de l’industrie des aliments transformés sur la santé des citoyens.
« Si les boissons gazeuses n’étaient que des gâteries consommées occasionnellement, je n’aurais pas écrit ce livre », déclare-t-elle d’entrée de jeu. C’est la surconsommation qui est problématique, nuance-t-elle : en 2014, les Américains en buvaient chaque année 153 litres, et les Canadiens, 85 litres1.
Malgré ces chiffres alarmants, l’auteure souligne une nette tendance à la baisse qui se dessine depuis une dizaine d’années, grâce au travail de plusieurs groupes de pression ayant notamment œuvré au retrait des boissons gazeuses dans les distributrices automatiques des écoles.
Un bémol s’impose toutefois : la consommation a principalement diminué chez les consommateurs aisés, c’est-à-dire ceux qui sont mieux informés. Les minorités ethniques, notamment, consommeraient davantage de boissons gazeuses, alors même qu’elles sont plus touchées par l’obésité et le diabète, indique Marion Nestle.
Des stratégies publicitaires redoutables
Soda Politics pointe tout particulièrement du doigt les tactiques de marketing des trois principaux fabricants de boissons gazeuses qui détiennent plus de 85 % du marché mondial : Coca-Cola (42 %), PepsiCo (27,5 %) et Dr Pepper Snapple (17,1 %).
Face à la diminution de la consommation, cette industrie très profitable dispose de sommes considérables pour se défendre et maintenir son marché. Elle le fait souvent de façon très agressive et parfois de façon beaucoup plus subtile, dénonce Marion Nestle, avec plusieurs pratiques condamnables comme :
- Un marketing qui cible les enfants, les jeunes, les groupes ethniques et les pays en voie de développement.
- La création et le financement d’organismes soi-disant dédiés à la science et à la santé, dans le but de financer des études qui minimisent ou contredisent les résultats des recherches ayant démontré les effets néfastes d’une surconsommation de boissons gazeuses.
- Le financement d’organisations dédiées à l’activité physique, dans le but de détourner l’attention des véritables enjeux posés par la surconsommation de boissons gazeuses.
Pour illustrer le pouvoir de l’industrie, Marion Nestle rappelle, par exemple, les faits suivants :
- En 2012, PepsiCo avait recruté Beyoncé au moyen d’un contrat de 50 millions US $, alors que celle-ci était la sympathisante la plus connue de l’initiative Let’s Move lancée par Michelle Obama.
- En 2010, le maire de Philadelphie a proposé une loi sur la taxation des boissons gazeuses. Cette loi a été rejetée par le conseil municipal à la suite d’une promesse de PepsiCo de verser 10 millions US $ à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie si le projet était retiré. Ce montant a été versé par un nouvel organisme à but non lucratif créé par l’industrie : Foundation for a Healthy America.
Des pressions fructueuses

Crédit photo : Bill Hayes
Bien que le combat puisse sembler inégal, Marion Nestle rappelle que plusieurs mouvements ont porté leurs fruits au cours des dernières années, en matière de limitation de la consommation de boissons gazeuses ou de l’influence de cette industrie sur les acteurs de la société. Le succès de la campagne anglaise Give Up Loving Pop et l’instauration d’une taxe sur les boissons gazeuses au Mexique et à Berkeley, en Californie, en sont de bons exemples.
Dans le cas précis de la taxe sur les boissons sucrées au Mexique, Marion Nestle souligne les bonnes stratégies qui ont assuré le succès de cette initiative:
- S’appuyer sur un enjeu de santé publique : au Mexique, le diabète et les nombreux cas d’amputations qui en résultent ont servi de base à la campagne.
- Bien identifier l’ennemi (ici : l’industrie des boissons gazeuses) et présenter la taxe comme une solution.
- Lier les revenus de cette taxe à une bonne cause. Au Mexique, ceux-ci sont utilisés pour favoriser l’accès à une eau potable dans les écoles du pays.
- S’allier à des universités, des groupes d’intérêt public et acteurs gouvernementaux.
- Développer un argumentaire basé sur une recherche solide.
- Obtenir un financement adéquat. Cette initiative a reçu un financement de 16,5 millions US $ sur trois ans de Bloomberg Philanthropies.
- Utiliser les fonds pour : amorcer un débat public, demander à des experts de prendre position, diversifier les partenariats, établir des projections des effets de la taxe, renforcer les analyses économiques et financières et utiliser les médias.
Selon Marion Nestle, le combat est bien amorcé et doit se poursuivre sur plusieurs enjeux, notamment : le retrait des boissons gazeuses dans les menus pour enfants, l’affichage de mises en garde sur les emballages, un changement des politiques d’approvisionnement des institutions gouvernementales.
Veille Action – 19 octobre 2015
Soda Politics – Taking on Big and Winning. Oxford University Press, 2015.
1. Consommation de 2014 selon Euromonitor international, telle que rapportée par NPR.
